Le dit du Gauzro
Gauz a une gueule. Gauz a de la gueule. Gauz a une grande gueule. Gauz pousse des coups de gueule. Entre nos pages, régulièrement – et quel honneur. Entre les pages des trois formidables romans qui lui ont valu une renommée internationale ainsi que le prestigieux Grand Prix littéraire d’Afrique Noire en 2019, et qui enchâssent comme des jeux de poupées russes les petites histoires dans la Grande.
Mais aussi dans ses clichés percutants ou encore ses scénarii, films et documentaires pleins de révolte et d’humanité… Inclassable et inlassable touche-à-tout, cet « artisan » se réinvente sans cesse, passant d’un médium à l’autre avec une aisance déconcertante. Son histoire, comme ses « écritures », s’emballe sur la crête du dire, harde de chevaux toujours au bord de l’explosion mais toujours retenus, pourtant, d’une main légère et d’un verbe à la précision musicalement acérée. Tentative de portrait.
Gauz est né Armand Patrick Gbaka-Brédé à Abidjan en 1971. Armand, un prénom bien français hérité de la « grande » Histoire. Alors pour mieux vivre la sienne – d’histoire – et l’identité multiforme qui en découle, il décide de la réécrire en adoptant le nom de Gauz, alias Gauzorro, déclinaison ancestrale de gbaka. Ou encore gauzro, comme l’avait affectueusement surnommé sa grand-mère : un tabac qui donne le vertige (« et j’espère continuer de donner le vertige à beaucoup de gens avec tout ce que je fais et tout ce que j’écris »).
Le ton est donné ! C’est d’ailleurs une cigarette, qu’il crapote en cachette devant la bibliothèque du lycée classique d’Abidjan, qui lui vaudra une collision avec le bibliothécaire et surtout deux ouvrages fondateurs, le Blanc et le Noir : « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline, et « Les Soleils des indépendances » d’Ahmadou Kourouma.
Le coup au plexus. La vocation. « C’est comme ça qu’il faut écrire ! ». Et à la croisée des chemins et d’influences où s’invitent également Maryse Condé et Romain Gary, il y arrive plutôt pas mal, le bougre, ciselant sa verve de Kamé Hamé Ha qui, à la fin de chaque envoi, touche. « Il faut que la phrase claque, dans la tête mais aussi dans le ventre ; dans le sens et dans la forme ». Mission accomplie.
Gauz’, dans le désordre foisonnant d’un CV long comme le bras et d’une vie vécue à s’en brûler les ailes, c’est : des études de biochimie entamées à Abidjan et achevées par une maîtrise à Paris ; une bourse pour Maison Alfort qu’il s’offre le luxe de refuser ; une kyrielle d’expériences professionnelles de toutes sortes (de jardinier à concepteur de bases de données en passant par vigile et consultant à la Francophonie).
Il se lancera ensuite comme scénariste (« Après l’océan », Eliane de Latour, 2004) puis deviendra successivement documentariste, photographe, directeur d’un journal économique, rédacteur en chef d’un webmagazine, apprenti sculpteur… Depuis 2011, entre Grand-Bassam où il s’est installé, et Paris-Belleville où tout le monde le connaît, ce boulimique de travail a produit pas moins de 3 romans (« Debout-Payé », 2014 – « Camarade Papa », 2018 – « Black Manoo », 2020), divers scénarios (« Niabla », 2019, Canal+ – « Ici c Babi », 2019, TV5 Monde – « Ziza & Ziké », 2021 – « Jolie Jolie », 2021…) et plusieurs pièces de théâtre (« Auto-phagie(s) », 2019 – « Cocoaïans, naissance d’une nation chocolat », 2020 – « La dent gardée », 2021).
Insatiable observateur de l’autre, cet « iconoclaste pluridisciplinaire », comme il se définit lui-même, convoque dans les fictions qu’il crée à partir du réel le meilleur de la double culture dont il est issu.
Un conteur comme on n’en fait plus que très rarement, et dont on attend avec impatience la prochaine étincelle ! En attendant, rendez-vous… entre nos pages !
Par E. Vermeil.
Publié en novembre 2021