Tamara : mémoire, hibiscus et tiroirs, une histoire…
Formé en Côte d’Ivoire et en Suisse, Jean Servais Somian allie la rigueur de l’ébénisterie occidentale à la spontanéité créative de l’artisanat africain. Sensible à « ce que les gens ne voient pas », il compose une œuvre d’inspiration contemporaine qui fait corps avec son environnement, insufflant énergie et noblesse à des matériaux souvent banalisés quand ce n’est pas déprécié. Sa dernière collection, baptisée « Tamara » en hommage à sa mère décédée fin 2021, présente un corpus éclectique aux lignes exigeantes et racées. Une nouvelle série de meubles et sculptures enchanteurs qui viennent rappeler, si besoin était, le talent fou de ce designer aux mains d’or.
Tamara a pris son temps, infusant lentement dans l’esprit de son créateur au gré de jours et de mois marqués par le confinement puis le deuil, les idées se déployant comme des fleurs de vie dans les fibres des matières premières qui toujours, boivent de cocotier en tête, dictent leur forme à l’ébéniste, comme un appel. Cette nouvelle collection, composée de quelque 25 pièces (consoles, luminaires, tabourets-tables, porte-magazines, enfilades, bureau, table…), embrasse deux années de travail et l’exposition qui l’a sanctionnée – tenue au showroom de l’artiste du 16 décembre 2021 au 30 janvier 2022 – était, pour Somian, une façon de tourner la page, de passer à autre chose. Dans le sillage de cette vague qui, à l’aune de l’année 2022, semble refluer doucement vers l’horizon de calmes retrouvés, émergent, bien sûr, quelques silhouettes reconnaissables entre toutes, typiques de l’écriture somienne : les emblématiques « demoiselles» (meubles-sculptures gracieusement dressés vers le ciel, taillés dans la masse de troncs de cocotiers «morts» que le designer récupère et fait sécher plusieurs mois avant de les creuser, les teindre et les cirer pour leur redonner vie) ou encore les consoles aux allures d’awalé. Sauf que les demoiselles du « cru Tamara » ne sont plus des étagères, mais des sculptures primitives ornées d’hibiscus, fleurs d’enfance stylisées taillées en relief à même le tronc, leur cœur figuré par un bouton d’ébène vissé à l’intérieur d’une corolle laquée de rouge, jaune ou blanc. Quant aux consoles, elles se « hérissent» cette fois de perles fabriquées à partir d’essences variées, que l’on dirait jetées sur le bois lisse par la main innocente d’un gamin facétieux. Et dans le déploiement des lignes nouvelles par lesquelles il donne jour à ses tabourets Samo sculptés en vagues et ses enfilades et arbres à casiers constitués de caissons assemblés, Somian travaille le vide et les couleurs primaires comme des matières à part entière, composant une œuvre que ne renieraient pas Piet Mondrian et Pierre Soulages. Tiroirs, pleins et creux y alternent, en une métaphore de ces cases dans lesquelles l’année 2020 a enfermé le monde, ne le laissant respirer que par intervalles et forçant ainsi chacun à retrouver le cœur de son être comme dans un jeu de poupées gigognes. Au bois fibreux du cocotier, son matériau de prédilection, Somian a ajouté ceux de l’iroko et de l’amazaque (ou ovengkol), mais aussi l’os de bœuf, travaillé comme un bijou et introduit en marqueterie sur les tables, tabourets et porte-magazines. On le voit, on le sent : un travail d’artisanat très pointu précède ici le design, qui se décline sur plusieurs niveaux de lecture faisant écho à l’actualité internationale et celle, plus personnelle, de l’artiste. Remarquable et vibrant.
Jean Servais Somian Design : Grand-Bassam, Quartier Impérial Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h. Tel : 07 47 57 76 21 / 07 07 39 63 58, Ig : Somiandesign, somiandesign.com.
Par E. Vermeil
Publié en mars 2022