Le tambour parleur des Ébrié bientôt de retour en terre ivoirienne…
Fin octobre 2021, dans la foulée du sommet Afrique-France qui s’était tenu à Paris quelques semaines auparavant, la France a officiellement rendu au Bénin 26 pièces du trésor du palais royal d’Abomey, pillé par les Français en 1892. Dans le même temps, le président français Emmanuel Macron annonçait également la restitution d’œuvres à la Côte d’Ivoire. Parmi celles-ci, le Djidji Ayôkwé, célèbre tambour parleur Ébrié confisqué par les colons français en 1916 et aujourd’hui conservé au musée du Quai Branly, après avoir été présenté au musée de l’Homme.
Nous le mentionnions déjà en janvier 2020 : fin 2018, la Côte d’Ivoire a officiellement demandé à la France la restitution de 148 biens culturels majeurs, à commencer par le célèbre tambour parleur, le Djidji Ayôkwé, pièce maîtresse de la culture ivoirienne et objet emblématique de la résistance des Ébrié à l’oppression coloniale.
D’après le site des collections du Quai Branly, cet instrument de musique en bois, un tambour à fentes de 3,30 m de long sculpté et orné d’un léopard bondissant, était utilisé «pendant la période de ‘’recrutement’’ pour la construction de routes afin d’annoncer l’arrivée des colons dans les villages et permettre aux hommes de fuir».
«C’était le Djidji Ayôkwé qui leur permettait de prévenir les uns les autres que le colon était en train d’arriver dans telle zone, parce que les gens n’étaient pas d’accord avec la méthode musclée de réquisitions des personnes pour aller travailler. Et donc, quand ils venaient, ils ne trouvaient personne et ils ont fini par découvrir que c’était le tambour qu’on battait et que l’on entendait de très loin, à 12 kilomètres à la ronde», précise Silvie Memel-Kassi, ancienne directrice du Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire nommée Directrice générale de la culture fin janvier 2022.
Si les fonctions du Djidji Ayôkwé, véritable outil de communication et de cohésion sociale, pouvaient être solennelles ou festives, en temps de guerre, il jouait également le rôle de veilleur. L’annonce de sa restitution prochaine, conforme à la «nouvelle relation» que le chef de l’Etat français entend nouer avec le continent, a donc été saluée comme «un geste fortement historique» par les populations concernées, d’autant plus apprécié que « ce tam-tam parleur va rappeler notre histoire et revaloriser le peuple Ébrié dont les traces sont en train de disparaître avec l’urbanisation sauvage de l’agglomération d’Abidjan […]» comme l’expliquait il y a peu Clavaire Aguego Mobio, actuel détenteur du pouvoir traditionnel des Ébrié.
La disparition du tambour a de fait grandement déstabilisé l’organisation sociale et traditionnelle de ce peuple. Si aucune date officielle n’a pour l’instant été arrêtée – on évoque çà et là le printemps 2022 –, les mesures destinées à encadrer ce transfert de propriété avancent bon train. Ainsi, Adjamé village a-t-il abrité fin janvier 2022 la seconde phase de la concertation sur le retour du tambour parleur, en présence de l’archéologue et historien de l’art Jean-Luc Martinez, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, de madame Silvie Memel-Kassi, et des chefs coutumiers tchamans.
En plus du partenariat scientifique entre le musée du Quai Branly et le Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire, en cours depuis plusieurs années, une loi-cadre destinée à faire en sorte que le Djidji Ayôkwé soit restitué dans les meilleures conditions possibles devrait également être adoptée. Une façon d’écrire collectivement une nouvelle histoire entre la Côte d’Ivoire et la France, et de rendre au Djidji Ayôkwé sa vocation première d’outil de rassemblement.
Fb : Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire
Par E. Vermeil
Publié en avril 2022