Memoria : récits d’une autre Histoire
Du 7 avril au 21 août 2022, le Musée des civilisations contemporaines Adama Toungara (MuCAT) accueille l’exposition collective «Memoria : récits d’une autre Histoire». Curatée par les commissaires Nadine Hounkpatin et Céline Seror, cette exposition, initialement présentée à Bordeaux (Fonds régional d’art contemporain Nouvelle-Aquitaine Méca) de février à novembre 2021, faisait partie du Focus Femmes de la saison culturelle Africa2020, dirigée par N’Goné Fall pour l’Institut français.
À Abidjan, elle s’enrichit des voix d’artistes ivoiriennes reconnues sur la scène internationale comme Joana Choumali et Valérie Oka, ou émergentes telles que Carine Mansan, Lafalaise Dion et Marie-Claire Messouma Manlanbien. Visite guidée.
Quatorze artistes venant du Ghana, de RDC, du Zimbabwe, de Namibie, du Cameroun, du Gabon, du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Quatorze femmes unies dans un même élan de devoir de mémoire et de représentation. Quatorze chapitres tissant la trame d’une nouvelle narration de l’Histoire, déclinée en un patchwork d’installations prenant pour support des médiums aussi variés que le textile, la performance vidéo, la photo brodée, la sculpture, la photographie, la peinture, le dessin…
L’exposition «Memoria : récits d’une autre Histoire» incarne l’idée d’une mémoire collective composée d’une myriade de récits, d’histoires, de questionnements et d’expériences éparpillées dans nos mémoires individuelles, personnelles, intimes. Cette idée est ici révélée par les œuvres d’artistes dont le travail renvoie à la (re)construction d’un tout commun, universel, qui renouvelle notre regard sur la création contemporaine issue d’Afrique et de ses diasporas.
À travers un parcours savamment agencé, le visiteur est invité à explorer les angles morts d’une Histoire racontée par les vainqueurs et les hommes. «Les artistes femmes africaines subissent une double peine. Elles sont sous-représentées en raison de leurs zones géographiques, mais aussi en raison de leur genre», souligne Nadine Hounkpatin.
À l’heure où, partout dans le monde, la condition et les droits des femmes occupent une place de plus en plus importante dans le débat public, «Memoria : récits d’une autre Histoire» lève donc le voile sur un pan de la lutte souvent peu représenté.
Les œuvres exposées renvoient pour beaucoup d’entre elles au domaine textile : il y est tour à tour question de vêtements, de voiles, de déguisements de mascarade, de collants, de filets de pêche, de kangas, de coton, de bas nylon, de chaînes… «Dégagés de l’imagerie du labeur domestique féminin, les fils tressés, cousus, tissés disent de multiples parcours : mémoires remontées au fil du temps, itinéraires intérieurs, reconstructions de symboles, sutures de blessures intimes, subversion de la frénésie moderne de la vitesse par la lenteur d’une couture manuelle », écrit Rafaël Lucas dans le catalogue de l’exposition.
Entrecroiser les fils de la mémoire et de l’Histoire, défaire l’écheveau du traumatisme initial, tisser la trame de nouvelles histoires, assembler des témoignages parcellaires, dénouer les liens qui entravent… En somme, « déshabiller le récit commun et s’effeuiller en un strip-tease plus souvent douloureux que sensuel» afin de se guérir du regard des autres, s’extraire des carcans imposés, soigner les blessures et les injustices à travers la pratique d’un art qui se fait tantôt thérapie, tantôt poésie, tantôt élégie, tantôt critique virulente… mais qui a surtout le mérite d’amorcer une forme de dialogue à travers de nouvelles narrations ouvertes à l’interprétation et à l’échange.
C’est ce que proposent chacune à leur façon Enam Gbewonyo, Gosette Lubondo, Georgina Maxim, Tuli Mekondjo, Myriam Mihindou, Josèfa Ntjam, Selly Raby Kane, Na Chainkua Reindorf, Joana Choumali, Lafalaise Dion, Carine Mansan, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Rachel Marsil et Valérie Oka. Quatorze sirènes.
À des siècles d’écart, leur chœur, émergeant des flots du passé, réhabilite par un effet miroir la mémoire de leurs sœurs, ces femmes déportées qui préféraient se jeter par-dessus bord plutôt que d’être réduites en esclavage à l’époque du commerce triangulaire. À découvrir de toute urgence.
Memoria : récits d’une autre Histoire, Jusqu’au 21 août 2022 MuCAT, Abobo. Fb : MUCAT
Par E. Vermeil
Publié en mai 2022