Grand-Bassam… “la cité aux quatre vents”

« Si Bassam est mon enfance, elle est aussi, à mes yeux, celle de la Côte d’Ivoire toute entière. » Bernard Dadié

Grand-Bassam est une ville dont on ne se lasse pas. Fille de l’eau et du vent dont les deux personnalités distinctes se reflètent comme dans un miroir de chaque côté du pont de la Victoire, elle ne présente jamais le même visage selon le moment de la journée, de la semaine ou de l’année.

Ici, le soleil brille toujours d’un éclat un peu plus doré, et les murs abîmés constituent son terrain de jeu privilégié. Sur ces façades fantomatiques, chacun semble vouloir laisser une trace, un message. « Ne m’oubliez pas »… en écho à la supplique muette de la belle endormie que l’érosion marine ronge progressivement tandis que côté terre, elle ne cesse plus de s’étendre, reine déchue reprenant tapageusement ses droits.

Riche de vocations, de possibilités, de populations et d’ambiances multiples, cette cité plurielle trouve un point d’ancrage dans le cœur de chaque Ivoirien et malgré les ravages des ans, ses charmes ne laissent personne indifférent.

Dans l’écrin de son quartier historique repose la douceur d’une paix retrouvée. Car Grand-Bassam, c’est avant tout cela : un lieu de réconciliation à la croisée des temps, symbole d’oppression dépassé, transcendé par l’amour inconditionnel des Bassamois pour leur ville, sans distinction d’origine ni de couleur de peau. Embarquons ensemble à la (re)découverte de la « Cité aux quatre vents ».

Grand-Bassam un beau matin. Boulevard Bonhoure, parcouru de rares véhicules, quelques chevaux efflanqués paissent sans conviction à l’ombre des manguiers centenaires. Des jacinthes d’eau glissent sous le vif argent du ciel. Sur les bancs, des passants solitaires s’abîment dans la contemplation de la lagune. La vieille ville se réveille doucement…

Bientôt, les façades de ses bâtisses abandonnées se parent de lumière dorée. Au fil de la journée, leurs murs rongés de rouille et de mousse composent des tableaux changeants, et pour qui prête un œil attentif à leurs aspérités fatiguées, chacun d’entre eux a une histoire à raconter. Berceau des arts improvisé, le quartier France vibre de lignes et de couleurs.

La parole populaire s’y exprime en dessins, écrits et peintures qui redonnent vie aux vestiges éprouvés : sous le porche de l’ancienne Société de commerce de l’Ouest africain, une fresque figurant l’épopée des amazones du RDA ; rue du commandant Pineau, une carte de l’Afrique stylisée et plus loin, une devanture de galerie ornée des smileys et messages de paix des artistes de l’ONG « Make art not war ». Rue Sierra Leone non loin de la maison Édouard Aka, le « peintre John-Robérto » a marqué son territoire. SCOA encore, une bande d’animaux hilares enjoignant à « Regarder », « Figurer », « Imaginer »…

Collée sur la façade de la Maison des artistes, la photo du peintre Georges Yao énonce une admirable sagesse : « On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, du noir sur du noir. Chacun a besoin de l’autre pour s’affirmer ».

Un peu partout en ville, d’autres sourires en noir et blanc, reliques du projet “Inside Out Grand-Bassam 2017”,  accompagnent le visiteur. À l’image du  “Quartier” et de ses habitants, rien ne semble pouvoir entamer leur espoir, leur ferveur. Balade en poésie… Les camions cinémas d’antan ont beau ne plus rouler depuis longtemps, aujourd’hui encore le spectacle se joue en plein air, sous nos yeux, à chaque coin de rue. 

On a tendance à l’oublier : Grand-Bassam est bien plus qu’une simple station balnéaire. Patrimoine national et mondial, galerie d’art, musée à ciel ouvert, théâtre d’ombre et de lumière, cette belle cité trop souvent délaissée au profit d’Assinie bruisse des murmures du passé, regorge d’anecdotes et de curiosités.

Il paraît que quelque part sur la route d’Azuretti, la statue d’une vierge dort sous les eaux lagunaires. Il paraît que dans les années 1960, un célèbre acteur français se cassa le bras en effectuant une cascade depuis l’un des balcons de l’Hôtel de France. Il paraît que la nuit sur la plage, on invoque Mami Watta à la lueur des bougies…

Mille et une, changeante comme un reflet mouvant, la ville émeut par la splendeur de ses vestiges en sursis investis de verdure, mais aussi par la douceur accueillante de ses habitants, son esprit de village et l’ambiance atemporelle qui composent sa petite musique. Fin de matinée, les restaurateurs commencent à apprêter leur table.

Dans le village n’zima, on partage un talier de poisson fumé à l’ombre du manguier où, sous la chaleur brûlante de midi, il fera bon s’installer pour la sieste. Sur la plage, les petits pêcheurs se livrent à des jeux innocents. Un peu plus loin, leurs aînés guinchent au Panorama. Selfies, volley, bouffe-party. Dans le soleil poudreux de fin d’après-midi, des pleureuses accompagnent un défunt pour son dernier voyage. Au même moment à l’heure de la sortie des classes, le pont de la Victoire et le boulevard lagunaire s’égayent des rires et cris d’écoliers libérés.

Sous le majestueux terminalia de la terrasse du Quai, des hirondelles tourbillonnantes volètent entre chien et loup. L’écho d’une fanfare lointaine rappelle que l’âme de l’Abissa coule dans les veines de la ville. Côté « continent », les quartiers populaires d’Impérial et de Petit Paris racontent encore un autre Bassam : celui de l’incroyable brassage culturel et ethnique hérité des beaux jours de la cité, quand la prospérité économique attirait des travailleurs de toute la sous-région et d’ailleurs ; celui de la gouaille tapageuse, des maquis, bars et dancings, du chaos routier, des concerts de cris et de klaxons, des fumées de braisés alléchants…

À la faveur de la nuit, cette partie de la ville se transforme en immense rue Princesse tandis que sur l’autre rive de la lagune, le quartier France se fond doucement dans l’obscurité, replié sur ses secrets. 

Était-ce un rêve… ?

E. Vermeil

Publié en juillet 2018