Ivoire Cirque Décalé : la petite troupe qui monte, qui monte, qui monte… !
Ivoire Cirque Décalé est une compagnie de cirque contemporain créée en 2019 à Abidjan. Ses 7 membres, virtuoses du roukaskas (une danse acrobatique issue du coupé-décalé) racontent l’histoire des rues avec une énergie bouillonnante et communicative. Un pur produit de la culture urbaine ivoirienne qui sublime les arts circassiens en y alliant l’esprit nouchi.
Ils s’appellent Eddy, Kalou, Rudy, Habib, Witti, Kalaki, Blanchard… Certains sont des gamins des rues, déscolarisés très jeunes ; d’autres des étudiants de l’INSAAC qui ont longtemps galéré, enchaînant les prestations de nuit pour des sommes dérisoires. C’est en 2017, à l’occasion du festival amateur d’arts vivants Vacances Culture, que le chorégraphe Hermann Nikoko Yao¹, alors membre du jury, les découvre. Séduit par leur engagement et leur envie de s’exprimer, il prend contact avec eux et va les visiter dans leur quartier, à Abobo PK 18, où les jeunes gens exercent de petits métiers de débrouille : cireur de chaussures, vendeur de téléphones portables ou de garba, gérant de cabine… De là naîtra l’idée de créer la compagnie ICD, qui bouscule les codes du cirque conventionnel en les adaptant à l’esprit du temps, du continent et de la ville. Un travail de collaboration qui se solde par une première création, présentée en 2020 aux RICA (Rencontres internationales du cirque d’Abidjan). Immédiatement séduite par le projet, la directrice du festival et de la Fabrique Culturelle, Chantal Djedje, décide ensuite d’accompagner la troupe en coproduisant le spectacle « Abidjan at com », qui raconte l’histoire de cette jeunesse galérienne et a été joué pour la première fois aux RICA 2021. « En mettant en scène l’énergie urbaine populaire d’Abidjan, cette pièce est une manière pour nous de soigner l’image de la délinquance associée à ces jeunes qui travaillent dans les transports en commun, et de déconstruire les préjugés dont ils sont victimes. Pour mieux appréhender leur mode de vie, il faut accorder une oreille disponible à leur langage et une attention particulière à leurs mouvements. D’un point de vue technique, nous voulons proposer une autre écriture dans le cirque contemporain en élaborant des figures acrobatiques et des pyramides humaines sur des rythmes assez rapides avec des pauses (breaks) accentuées. L’utilisation d’agrès comme des pneus et des bambous vient renforcer l’identité culturelle de la pièce. La création joue également beaucoup sur le pouvoir de la parole, en incorporant plusieurs dialogues et en créant une vraie interaction avec le public », explique Hermann Yao. Si aujourd’hui ces jeunes circassiens prometteurs ne vivent pas encore complètement de leur art, du moins sont-ils passés de l’ombre à la lumière. Et partout où ils ont enchaîné les acrobaties, le public et les professionnels sont restés ébahis. Pour Hermann Yao, outre la mise en espace et en confiance, l’essentiel du travail effectué auprès d’eux consiste à leur faire prendre conscience de leur potentiel et de leur talent, et à leur permettre de s’insérer dans un canevas professionnel où ils puissent vivre de leur art. Un but poursuivi patiemment, et qui semble en bonne voie : actuellement en phase de perfectionnement technique, le spectacle Abidjan at com devrait décrocher une 9ème date d’ici le mois d’octobre. Quant à l’édition 2022 des RICA, elle pourrait réserver des surprises, mais on ne vous en dit pas plus pour l’instant : la suite au prochain numéro !
¹ Titulaire d’un master professionnel en chorégraphie obtenu à l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle d’Abidjan (INSAAC), Hermann Nikoko Yao crée en 2012 avec son ami Sow Souleymane, la compagnie DUMANLE et débute ses premières productions chorégraphiques qui lui font remporter le prix du meilleur chorégraphe en 2013 au festival Vacances Culture. Chorégraphe créatif, il travaille aussi bien sur des fresques chorégraphiques telle que Carmuna Burana, Carmen de Bracody et Ravel by Africa de AZ prod, ou des créations plus intimistes comme “In the box”, qui mélangent danse contemporaine et danses traditionnelles. Il est reconnu aujourd’hui comme l’un des meilleurs chorégraphes ivoiriens de sa génération. Il est le président de la Fédération Ivoirienne de Danse Accor’Danse et enseigne à l’Ecole supérieure de musique et de danse de l’INSAAC.
FB : Ivoire Cirque Décalé
Par E. Vermeil
Publié en octobre 2021