LES CHRONIQUES DE ZEBRAZOUM: DÉDALES ET PÉDALES…
« D’où venez-vous Ma’am ? »
J’attendais par 44 degrés, sous l’auvent d’un hôtel à Mascate, Oman. Le portier me dévisageait avec curiosité et bienveillance. Sa peau était aussi foncée que la mienne, mais ses cheveux d’un noir de geai, drus et lisses trahissaient des origines proches du Golfe du Bengale. Bien éloignées de mon Golfe de Guinée natal.
D’où venez-vous ? Côte d’Ivoire ? Costa de Marfil… Ivoorkust ? La question, invariablement. Surtout dans les contrées où les Noirs sont en minorité. Ces pays d’Asie où les locaux me demandent gentiment s’ils peuvent se faire prendre en photo à côté de la curiosité que je représente.
Confusion. Et, parfois, un sourire éclaire le visage de mon interlocuteur. « Ah ! Didier Drogba ! ». Du Japon à Oman, de l’Italie aux Caraïbes, les footeux connaissent leur géographie. Cet été, AlChoco a visité tout émerveillé le Parc des Princes. Grand supporter du PSG, il en avait autant à me dire que le jour où il a assisté à son premier match au stade Robert Champroux de Marcory.
Je ne sais pas pourquoi je raconte ceci. Peut-être parce que, à des lieues d’Abidjan, je m’interroge sur ce qui nous lie émotionnellement à un pays. D’où l’on vient, est-ce l’endroit où nous invoquons les mânes de nos ancêtres ? Est-ce la terre où nous sommes nés ? Est-ce notre résidence fiscale ? Le village de notre père ? Là où se trouvent les êtres aimés ?
De nos jours, combien de petites Cocodyennes doivent leur passeport américain à l’esprit prévoyant de leurs parents ivoiriens ? Combien d’entre nous mêlons des expressions d’argot ivoirien à notre chôcobi français ou québécois, tout en important régulièrement les mets d’enfance dont nous ne pouvons-nous passer ? Vrai-vrai ! Tu dis que tu es canadien, mais tu importes (chuuut !) discrètement escargot pour faire sauce à Montréal. Tu dis que tu es français, mais si on fouille bien à Roissy, on va découvrir des noix de cajou et « un peu d’attiéké pour faire goûter à la famille » dans tes bagages. Tu dis que tu vis en Côte d’Ivoire, mais ta consommation annuelle de champagne dépasse ta consommation d’huile de palme… Tu te dis sénégalais, mais tu sais faire la différence entre les coutumes odienneka, baoulé ou sénoufo… Qui es-tu au juste ?
Je n’ai jamais su répondre. Qu’importe ! La question ne devrait-elle pas être « d’où venez-vous ? », mais « Où allez-vous ? »
Ces dernières semaines, je me suis égarée dans le dédale de Venise, en pleine grève des vaporettos. Presque en retard, plus aucun bateau en circulation ! J’ai d’abord tenté de négocier une traversée du canal en gondole, pour réaliser amèrement que c’était interdit. Regrettant presque mon Abidjan où impossible n’est pas ivoirien, je me suis rabattue sur le fidèle GoogleMaps et je me suis mise à la recherche du Pont du Rialto qui me permettrait de relier ma destination. Perdue dans une contrée étrangère, consciente de la couleur de ma peau et des risques liés à mon genre, avec des rudiments de la langue qui se limitent à « limoncello » et « mascarpone », je n’en menais pas large. Je voulais abandonner…
Puis, je me suis détendue. J’ai réalisé que j’avais fait tout ce chemin pour justement venir me perdre à cet endroit précis, si près du but. Il y avait forcément une raison. Une clé à découvrir. J’ai prévenu de mon retard et ralenti le pas. Pris plaisir à découvrir les quais, places et églises sur mon chemin. Pris plaisir à observer mes propres émotions et réactions.
S’égarer. Pour mieux revenir. Voyager, non pas pour se trouver, mais pour mieux se perdre.
Par Zebrazoum
Publié en octobre 2022