Isaac Kemo : « La musique est un langage universel»
15 juillet 1984, 14h35. Cette date, Isaac Kemo – Tia Mougnehi Isaac Kemossiei à l’état civil – ne l’oubliera jamais : c’est à cet instant précis que sa vie prend un tournant décisif, lorsque son père, gardien de la paix et mélomane passionné, lui offre son tout premier instrument : une flûte à bec…
Il se retrouve comme « anesthésié », et passe des heures à tenter de reproduire les sons égrainés par les vinyles craquants que son père écoute chaque soir, religieusement, à la descente : John Coltrane, Lester Young, Fela Kuti, Manu Dibango…
Dépositaires du souffle sacré qui anime les plus grands, ces saxophonistes de génie deviendront les pères spirituels du petit Isaac, alors âgé de 9 ans. Trois mois plus tard, sous la houlette du professeur Edjeï, trompettiste dans la fanfare militaire de Bouaké, le gamin « parle couramment le solfège » et confirme les prédispositions décelées par son paternel et son maître de musique.
De la flûte au saxo
Il passe à la flûte alto puis à la clarinette, faisant un détour par le piano en attendant la rencontre, en 1991, avec son premier saxophone, qui deviendra le prolongement de son âme et l’amplificateur de ses vibrations internes.
Ses classes musicales, il les effectue dès l’âge de 10 ans à l’école du métissage et des opportunités de circonstance, se produisant avec l’orchestre des Vétérans de Bouaké (premiers retraités des compagnons de l’Aventure 46’) puis le groupe des Frères Cissé, dans la mythique émission Podium, ou à l’occasion de jam-sessions mémorables dans les cabarets, les clubs et même la rue, «laboratoire humain d’une richesse inestimable ».
Un apprentissage éclectique
Un apprentissage éclectique et multiforme qui nourrira la richesse de son répertoire et de son phrasé ainsi que sa curiosité insatiable de l’Autre, et qu’il complète par une formation au Village Ki Yi M’Bock puis à l’INSAAC… Pour mieux réaliser qu’il ne veut pas devenir un «fonctionnaire de l’art», mais «[s’] exprimer et raconter [son] histoire à travers la musique ».
Adoubé par des pointures comme Boni Gnahore – avec lequel il effectue sa première tournée internationale – ou le regretté Manu Dibango qui l’avait adopté comme un fils; compagnon d’« armes» du batteur virtuose Paco Sery et du guitariste Luc Sigui avec lesquels il forme le trio Les Éléphants du jazz; directeur artistique de 2 festivals en Corse (Festival Nautic & Music, Festi Lumi) dont il enrichira la programmation en y invitant des guests aussi prestigieux que Kassav, Toure Kunda, Tchavolo Schmitt (dernier dinosaure du jazz manouche), Murray Head ou encore le petit-fils du légendaire Django Reinhardt, Isaac a vécu plusieurs vies en une avec, toujours, la même ligne directrice : «[Avancer] dans le calme et la discipline », pour reprendre les mots de son ami Armand Gauz.
Un nouvel album
Aujourd’hui, 5 ans après la sortie de son premier album, Nessmon (« Le feu n’est pas éteint», édité par la maison de disques Plaza Mayor, qui a entre autres produit Carlos Santana, Tina Turner et Mary J. Blige), il s’apprête à régaler son public d’un nouvel opus, Axiome, attendu d’ici mi-mai 2023 : « Le relais de mon discours sur terre, et le marqueur d’une nouvelle étape de ma vie ».
Fourmillant de projets et d’envie, Isaac travaille également – en plus de l’animation d’ateliers d’improvisation ici et là – à l’adaptation scénique (4 musiciens, 2 acteurs et 2 danseurs, du mapping vidéo et des effets 3D) de l’intemporel « Climbié » de Bernard Dadié, qu’il considère comme la colonne dorsale de l’âme et de l’histoire ivoiriennes. La musique dans la peau !
Par E. Vermeil
Publié en mars 2023