Cocoaïans, la révolution à venir – Partie 2
« Ivoirien, deviens chocolatier ! » Ce n’est pas une invitation, c’est une injonction… à la première personne de l’impératif. Alain Porquet te la lance à la figure chaque fois qu’il finit de parler de Cocoaïans. Non, je ne te parle ni de drogue, ni de mon dernier livre (même si ma littérature est enivrante).
Ce mot, Alain l’a inventé. Étymologiquement, il le compose avec « Cocoa »¹ et le suffixe anglais « ians », ce qui donne « Habitants du pays de cocoa ». J’entends les aigris francophiles du fond de la classe demander pourquoi l’anglicisme ? Alors je vais les satisfaire et les laisser prononcer à haute et intelligible voix : « Caca – oïens ! »… Bon, tu as compris, on peut avancer et laisser Alain parler.
« Comment on peut être encore dans les fèves de cacao, alors qu’elles ne représentent que 5 % de la masse financière du chocolat dans le monde ? On est fou ou quoi ? » La dernière question, je ne suis pas sûr qu’il l’ait exprimée comme ça, mais c’est comme ça qu’elle a résonné dans mon oreille. « Houphouët-Boigny, son plan, c’était d’arriver au chocolat. Il voulait qu’il y ait des boutiques qui vendent du chocolat ivoirien jusqu’à la Place Vendôme, à côté des bijouteries et des diamantaires.
Le chocolat, c’est un grand luxe qu’on a laissé aux autres alors que c’est nous qui en tenons les rennes. » Les yeux de l’homme s’allument, les gestes de ses mains bagués d’argent se font frénétiques, la passion fait vibrer son corps. « Ça fait sens. C’est nous qui les tenons, pas le contraire. Même visuellement, nous avons la couleur du chocolat… » et il glisse ses doigts sur son avant-bras. « Dans le Bordelais, le Beaujolais, en Bourgogne, le long du Rhône, etc., en France, personne ne parle de raisins.
Le vin est le diktat et chaque région en revendique une particularité, un goût spécifique. Imagine cela à Gagnoa, Bayota, Duekoué, Soubré… et même dans les régions où ne pousse pas le cacao, mais où il pourrait pousser un savoir-faire chocolatier ! Le savoir-faire est le vrai point ! ».
L’homme est lancé, son verbe est clair, sans ambigüité. Mais mon inénarrable sens de la contradiction prend le pas. À quoi sert de produire sur place un produit que nous ne consommons pas, qui n’est dans aucune tradition de consommation ? Survient alors l’explosion. « D’abord, personne n’est obligé d’être alcoolique pour vendre du vin ou d’être bâtisseur pour vendre le meilleur marbre. Ensuite, le chocolat inonde les marchés africains et sous toutes les formes. Rends-toi compte que notre cacao part chez les « Blancs » avant de nous revenir ici jusque dans le ventre des simples pains au chocolat. Du Sénégal au Congo, ça mange du chocolat sous diverses formes et en quantités phénoménales pour réinviter un modèle continental dont nous serions le leader naturel. Chiffre : le Nigeria et ses 200 millions d’habitants, ils importent d’Europe pour l’équivalent de 200 millions de $ de chocolat. Imagine s’il venait des voisins ghanéens et ivoiriens… Enfin, les goûts, cela se forge, se polit, se façonne. Le raffinement s’apprend… définitivement. C’est ce que l’on appelle la civilisation. » Me voilà le bec cloué, même les bavards au fond de la classe se sont tus aussi.
Civilisation du chocolat, voilà où Alain Porquet veut mener sa barque et faire sortir les Cocoaïans de la révolution de comptoir. « Et nous ne sommes pas seuls à bord. Nos frères et sœurs d’ailleurs en Afrique, en Asie et surtout en Amérique latine, ils sont avec nous. Le chocolat est une invention civilisationnelle maya. En termes d’histoire géologique de la Terre, l’Afrique et l’Amérique latine étaient un bloc. Même si la dérive des continents nous ont séparés, ce n’est pas étonnant que le cacao se soit épanoui ici. Nous devons leur tendre la main pour avancer ensemble sur le chocolat. Tu as vu « Wakanda forever »² ? » Ma grosse tête remue dans le sens du non.
¹: Tu es sûr que tu as besoin de la définition ?
²: Regarde ailleurs dans ton BAAB, ils en parlent forcément, vu qu’il est sur les écrans abidjanais. « Dans ce film, il y a aussi cette théorie de l’unification des civilisations d’Amérique du Sud et d’Afrique pour faire face au monde. Ça m’a filé la chair de poule de savoir que je ne suis pas seul à penser comme ça. Ivoirien, deviens chocolatier ! » Ainsi parla, l’homme du Bush, le Bushman
Publié en décembre 2022