Traite du Cacao
Le Billet de Gauz’
« Novembre est au milieu de la traite du cacao ». Aujourd’hui, analyse de phrase. Les gens du fond de la classe, arrêtez de bouger, c’est moi qui la fais. La phrase entre guillemets donne une information sur la période pendant laquelle toute la Côte d’Ivoire récolte sa principale source de revenus : le cacao.
Entre octobre et décembre, elle envoie des millions de petits paysans en brousse cueillir des cabosses orangées, les casser, en fermenter les graines, les sécher, puis les emballer dans des sacs pour les vendre à petit prix à des acheteurs qui sont comme des collecteurs primaires qui vont vendre à moyens prix les sacs de graines qui seront acheminés vers les ports d’Abidjan et San Pedro pour être achetés par de gros acheteurs à gros prix qui vont les vendre à l’État à très gros prix qui va les vendre à de très très gros acheteurs à très très gros prix qui eux-mêmes vont les vendre à de très très très gros acheteurs à très très très gros prix qui vont les vendre à des industriels et des artisans qui vont les transformer en chocolat qu’ils vendront à toute la planète (y compris la Côte d’Ivoire) à de très très très très très… très gros prix.
Voilà caricaturée, à gros traits certes, la « traite du cacao ».
C’est ainsi depuis la fin du 19e siècle quand Arthur Verdier (le patron de Treich-Laplène qui a donné son nom à Treichville) a ramené du Libéria les premiers plants de cacao à Elima, sur les bords de la lagune Aby juste au-dessus d’Assinie (oui je sais que tu savais pas, calme-toi).
L’analyse ne s’arrête pas là. La phrase porte un mot qui me rend nerveux : « traite ». Dans son sens premier, il signifie « tirer » et fait penser aux vaches. Oui, « traite » est le substantif de « traire », tirer le lait de la vache.
Au sens figuré, quand tu te fais exploiter par quelqu’un ou par une situation, on peut dire que tu t’es fait traire comme une vache. Tu commences à voir pourquoi il m’énerve, mais ce n’est que le début. Quand le mot arrive en droit, il signifie commerce. Il est juste déguisé en habits de noblesse et de raffinement de langage, mais en vérité, il n’abandonne pas le sens de la métaphore bovine.
C’est dans le champ lexical du commerce qu’il prend tout son mépris parce qu’il désigne une forme basique, primitive de commerce qui consiste en l’échange de produits locaux contre des marchandises manufacturées.
Exemple 1 : la traite des fourrures. Ici, « produit » est une peau de bête et « locaux » peut être situé dans les plaines d’Amérique où des Indiens indigènes et des Blancs civilisés commercent. Exemple de 2 : la traite des esclaves.
Là, on rentre dans le dur. Ici, « produit » est un humain et « locaux » est situé sur toutes les côtes d’Afrique où pendant 400 ans des indigènes sauvages ont vendu des humains à des Blancs civilisés dans ce qui fut le plus large et le plus long crime contre l’humanité depuis qu’Homo sapiens s’est mis debout ! Et c’est ce mot-là que tout le monde utilise encore aujourd’hui pour parler du commerce de cacao en Côte d’Ivoire
« Traite du cacao » dit toujours le même scandale de l’exploitation d’une population, les paysans, par une autre, l’élite bourgeoise ivoirienne et ses complices internationaux. Le commerce du cacao est toujours colonial et clairement assumé comme tel, dans le lexique comme dans les faits.
En 2023, on continue de s’enorgueillir de peser pour 40 % dans le marché mondial du cacao quand on ne pèse même pas 0,000000001 (je vais me faire une crampe si je tape tous les zéros avant le 1) dans le marché mondial du chocolat.
Là se trouve indéniablement le plus grand scandale de notre temps. Et fabriquer du chocolat, ce n’est pas fabriquer des téléphones portables dernier cri, on n’a pas besoin d’être à la pointe de toutes les technologies modernes pour ça.
Fabriquer du chocolat, c’est faire de la cuisine, niveau omelette. Les tanties de Babi qui préparent des hectolitres de sauces graines¹ et de gouagouassou² chaque jour dans le pays, ce sont l’équivalent d’ingénieurs de la Nasa devant un fabricant de chocolat qui n’est rien d’autre que du cacao cuit à l’étuvée et écrasé. Point. Tous ceux qui raconteront autre chose sont des mythomanes.
Qu’est-ce qui nous empêche de vendre du chocolat plutôt que de vendre du cacao ? Rien ! Il faut sortir de la traitre traite du cacao (il fallait la placer, celle-là, obligé !) pour passer à la « Révolution cocoaïans », la surrection d’une nation chocolat. Elle a commencé ici, au Bushman Café… je vais vous l’expliquer dans un prochain numéro.
¹ Sauce de jus de pulpe de graines de palmier mijotée des heures avec tous les everything de la terre ou de la mer dedans… si tu ne sais pas ce que c’est, tu es sauvé, parce que tu as encore à découvrir l’un des mets les plus succulents du système solaire.
² Gouagouassou est un terme baoulé qui veut dire littéralement « mettre mettre dessus ». Originellement, c’est une sauce préparée avec les légumes disponibles (aubergines, gombos et aujourd’hui tomates) et mélangés grossièrement, sans vraiment les écraser. Si un brochet fumé ou un petit agouti se perd dans la sauce, tu es sauvé !
Par Gauz’
Publié en décembre 2023