BAAB a rencontré ÉBI YOFIÈ, romancier ivoirien, à l’occasion de la publication de son nouveau roman HIER, LOIN DEVANT. Entretien.
Votre livre HIER, LOIN DEVANT vient de paraître. Dites-nous-en un mot.
C’est l’histoire de Frangin Léon, un jeune cadre ivoirien nouvellement chômeur qui se redécouvre une passion pour la plume datant de ses années étudiantes alors que son mariage bat de l’aile et qu’il n’a plus un rond. Il décide alors d’un plan grotesque : se rendre à Londres pour demander l’asile, afin de participer à un concours littéraire prestigieux qui pourrait lui offrir une nouvelle carrière en tant qu’écrivain. S’ébranle alors une histoire poignante de famille, d’amour et d’amitié qui traverse Abidjan, Londres, New York et Genève et qui mesure la délicatesse des relations humaines et des circonstances qui influent sur elles.
Cette histoire fait-elle référence à une expérience personnelle ?
Il est difficile d’écrire sans se baser sur un minimum de vécu ou d’aperçu, même autour d’un récit largement fictif. J’ai eu l’occasion de vivre dans la plupart des villes que ce roman parcourt et de m’y frotter à d’autres réalités socioculturelles qui, au fond, comportent leurs lots de similitudes avec notre quotidien local. Elles ont aussi inspiré ce livre.
Vous avez publié ce premier roman sous un nom de plume, à la différence de vos livres précédents. Pourquoi ?
En effet, ce livre est publié sous mon nom de plume Ébi Yofiè. Il s’agit en réalité d’une expression en langue Nzima qui signifie « il y en a chez toi » et qui en appelle à l’humilité et à la mesure quant à l’opinion que l’on se fait d’autrui. C’est donc une pensée pleine de la sagesse que je désirais pour accompagner ce qui sera peut-être une carrière de romancier distincte de la carrière d’essayiste que j’ai entamée depuis une décennie sous mon vrai nom, Jean-David N’Da.
Pourquoi donc le passage de l’essai au roman comme choix d’expression littéraire ?
Probablement parce que la fiction permet d’aborder des sujets sérieux sans nécessairement les formater à l’intérieur du moule relativement rigide de l’essai, qui d’ailleurs est un exercice qui me vient naturellement. Le fait de m’être orienté vers la fiction m’a demandé un effort que j’ai trouvé bienvenu en ce sens qu’il m’a fait sortir de ma zone de confort.
Ce roman a donc été l’occasion pour vous d’aborder des thématiques variées ?
En effet. L’intrigue principale fait référence à la question de l’immigration. Mais le contexte de la demande d’asile de notre protagoniste permet d’explorer d’autres aspects de la vie des personnages du livre, leurs difficultés sentimentales et familiales, les choix professionnels auxquels ils sont confrontés, etc. Le livre parcourt aussi des thèmes d’actualité comme la discrimination raciale, la violence conjugale, la foi, le développement personnel, en jetant un regard sur les réalités sociopolitiques et socioéconomiques auxquelles nous sommes confrontés.
Et vous avez réussi à faire tenir tous ces sujets dans un roman court ?
J’ai essayé, certainement, d’explorer tous ces sujets dans un roman volontairement court, pour deux raisons : afin de permettre une lecture fluide et relativement rapide dans un contexte où le livre ne semble pas être la priorité du grand public.
Alors justement, comment expliquez-vous ce phénomène et comment y remédier ?
Je pense que lire est avant tout un plaisir personnel. Si les gens ne trouvent pas l’exercice plaisant, il y a peu de chance qu’ils le pratiquent. Il nous revient donc, à nous écrivains, de produire des textes agréables à lire. Cela dit, c’est vrai que pour des raisons multiples allant probablement de la qualité de notre système éducatif à la prééminence des réseaux sociaux, le grand public se désintéresse de la lecture, à l’exception notable des lectures orientées développement personnel. Et c’est bien dommage parce que le livre reste, à mon avis, la source d’éducation première. Cependant, je pense qu’il existe encore un lectorat friand d’œuvres littéraires à proprement parlé, pas seulement de livres modes d’emploi, comment faire ceci ou comment faire cela, qui ont peut-être leur utilité, mais qui ne sont pas tout à fait la tradition du livre que nos ainés nous ont laissée.
Vous suivez donc le chemin tracé par ces ainés et autres romanciers africains ?
Disons que je respecte le travail des écrivains en général, pas seulement des écrivains africains. Récemment, j’ai lu des textes particulièrement réussis des romanciers américains Jesmyn Ward et James McBride. J’essaie donc d’être un lecteur assidu de littérature d’origine diverse quand bien même j’ai aussi été influencé par les ténors africains tels que Ahmadou Kourouma, Chinua Achebe, Ferdinand Oyono et bien d’autres. Plus récemment, j’ai découvert Yaa Gyasi, une romancière ghanéenne que je trouve particulièrement brillante, au même titre que Chimamanda Ngozi Adichie qui, à mon avis, est la mesure littéraire africaine du jour. J’essaie donc de m’inscrire dans la lignée que ces auteurs ont tracée en y ajoutant ma petite touche de créativité personnelle. J’espère que le public appréciera.
HIER, LOIN DEVANT de Ébi Yofiè est disponible partout en version papier et électronique, notamment à Abidjan, dans les librairies FNAC et le réseau de la Librairie de France.