Les Frasques d’Ébinto
Le billet de Gauz’
Le titre de cet article est aussi celui du roman le plus célèbre qui ait été lu dans ce pays (ou qui n’ait jamais été lu… c’est dans cette expression que tu peux vérifier en littérature l’expression mathématique qui veut que deux négatifs donnent un positif!). Le livre est au programme depuis au moins 40 ans.
Il est difficile de lui échapper entre la 5ème et la 3ème, donc à l’âge où les corps et les esprits sont dans la tourmente des métamorphoses physiques et psychologiques de l’adolescence.
Ça tombe bien, parce que justement, « Les frasques d’Ébinto» parle de cette traversée tumultueuse vers l’âge adulte. Les études, l’amour, le sexe, le travail, l’avenir… toutes ces questions angoissantes qui nous viennent à cet âge, les parents, les amis, l’école, la religion, les infos, etc., rien ni personne ne nous en parle.
Tout est tu, étouffé sous une chape d’hypocrisie, de gêne ou de paresse intellectuelle. Et un jour, tu tombes sur « Les frasques d’Ébinto»… et te voilà emporté dans une sorte de chemin initiatique que te dessine la trajectoire de cet adolescent dont tu partages les « frasques» : sa relation monacale (au début) avec Monique, tu connais; les premiers troubles que te provoquent le contact avec une fille ou un garçon, tu connais; les sulfureux fantasmes d’une Muriel qui te souffle le chaud et le froid selon son humeur, tu connais; l’angoisse du premier examen scolaire d’importance, tu connais…
Alors tu plonges dans ce roman qui en plus parle la langue de ton âge (l’auteur était adolescent quand il l’a écrit). Tu te laisses emporter dans le tourbillon des passions contrariées d’Ébinto, tu es avec lui dans la tiédeur sensuelle de cette nuit avec Monique, tu es au bal de fin d’année avec Muriel, tu es dans toutes les lettres qu’ils s’échangent tous comme on échange des SMS ou des stories aujourd’hui.
Tu as ta place dans tous les bouts de compréhension ou d’incompréhension de chacun d’eux. De sorte qu’encore aujourd’hui, absolument tout le monde a son avis sur ce que les uns ou les autres auraient dû faire… voilà comment un roman traverse les temps, les technologies, les générations.
Alors quand tu veux l’adapter au cinéma, il y a autant de scénaristes qu’il existe de lecteurs. Chacun connaît les personnages mieux que toi, chacun s’est déjà fait son film, il se passe des choses qui te dépassent!
Lorsque Instant2Vie Studio¹ annonce sur une page Facebook la réalisation du film à venir, les passions se déchainent immédiatement.
En quelques heures, des milliers de réactions! Moi qui décrie l’analphabétisme dans le pays, je vois, ahuri, des milliers de gens s’exciter autour d’un livre. Charly Kodjo² a la géniale idée de faire un casting sauvage³ directement sur le Net. Des dizaines de milliers d’Ivoiriens (je n’exagère pas, les chiffres ne mentent pas, ce sont ceux qui les exploitent qui mentent) et d’Africains et Africaines (je n’exagère pas, y’a des Centrafricains, des Tchadiens AES, des Burkinabés AES, des Sierra-Léonais non AES etc.) se sont mis à se rêver Ébinto, Monique ou Muriel.
Les vidéos ont littéralement inondé la plateforme! Résultat, pour le casting final prévu les 12 et 13 octobre à la Fondation Donwahi, il y a 800 personnes inscrites et motivées pour passer les auditions physiques habillées comme dans les années 60-70… ça va être surréaliste à photographier et filmer.
Devant un tel engouement pour un film qui n’est même pas encore sorti, imagine la pression de la production, du réalisateur et du… scénariste.
Quoi? Tu n’as pas encore compris que c’est moi qui écris le scénario? Il faut suivre en classe.
Et dans la classe d’Ébinto, il y a beaucoup de monde à ne surtout pas décevoir. Écrire un scénario à partir d’une œuvre originale aussi célèbre et connue, c’est faire des choix qui vont en contenter beaucoup et décevoir beaucoup.
Car vois-tu, la communauté de «Les frasques d’Ébinto» est comme la guerre froide, le conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine, la politique ivoirienne ou simplement une noix de cola… elle est divisée en deux parties radicalement opposées : les moniquistes et les murielistes.
Je sais que je vais me faire beaucoup d’ennemis (ce n’est pas nouveau), mais je vais me faire aussi en face beaucoup d’amis (ce n’est pas nouveau non plus).
En attendant de voir ÉBINTO, le film, saute sur «Les frasques d’Ébinto», le livre. Malgré les années, il vibre d’une certaine actualité et d’une fraîcheur qu’on ne retrouve plus. Rendez-vous bientôt au cinéma… oui oui, pas à la télé, mais au cinéma.
¹Instant2vie Studio, la société de production qui monte le projet de film.
²Le bonhomme qui a monté Instant2vie Studio et qui rêve d’en faire un outil pour écrire une fiction nouvelle par nous-mêmes et pour nous-mêmes avec de l’ambition internationale…
³Casting sauvage ne signifie pas casting de sauvage, calme-toi ! Ce sont juste des castings ouverts à des personnes qui ne sont pas des comédiens professionnels, en vrai, des gens de la rue quoi. Un Djimon Houssou est issu d’un casting sauvage, par exemple.