Le MuCat, dépositaire de la mémoire des arts visuels ivoiriens
Un peu moins d’un an après son inauguration avec l’escale abidjanaise de la plus grande exposition panafricaine jamais montée sur le continent – « Prête-moi ton rêve » -, Le Musée des cultures contemporaines Adama Toungara d’Abobo accueille sa seconde exhibition d’envergure, « 1957-2021 : 64 ans d’arts visuels en Côte d’Ivoire ».
Cette rétrospective, mise en place par le professeur Yacouba Konaté, propose une relecture de l’histoire nationale à l’aune de disciplines comme la peinture, la sculpture, la photographie, et le design, dont les représentants les plus emblématiques (une cinquantaine en tout) se répondent dans un dialogue intergénérationnel.
« L’histoire d’une nation se raconte à travers plusieurs strates de la société […]. Cette exposition vise à signaler la diversité et la vigueur des démarches plastiques et des esthétiques qui ont fixé les repères tangibles de l’histoire de l’art dans notre pays. Sans prise en compte de l’histoire des cultures et de l’histoire de l’art, il est impossible de prétendre faire une histoire complète », expliquait le professeur Yacouba Konaté le 16 février 2021 lors de la conférence de presse précédant le vernissage de l’exposition.
Parmi les pionniers qui ont fait entrer l’art ivoirien dans la modernité et dont les œuvres sont visibles au MuCat, on relève deux figures majeures. Le sculpteur Christian Lattier fut le premier à s’émanciper de l’héritage des ancêtres et de l’académisme occidental pour inventer son propre langage, qu’il baptisa « expérience architecturale ».
Rejetant les conventions du savoir-faire traditionnel et délaissant les matériaux nobles habituels (bois, pierre) au profit du fil de fer et de la ficelle, il défraya la chronique avec ses compositions cordées totalement inédites. Outre les (chefs d’) œuvres de Koffi Donkor, Jems Koko-Bi, Michel Tadjo ou encore Karamoko Djima, on trouvera notamment dans les remarquables réalisations en carton de Kouamé NGuessan, dont la superbe chaise royale qui accueille le public à l’entrée de la grande salle d’exposition, un écho résolument contemporain à l’originalité des anciens.
Surnommé « l’arbre tutélaire » de l’art ivoirien, le peintre Michel Kodjo, lui, fut le premier artiste à exposer individuellement à l’Hôtel de Ville d’Abidjan, 3 ans avant l’indépendance du pays.
Ses œuvres figuratives empreintes de mysticisme incarnent la fusion harmonieuse de la tradition et du contemporain, ouvrant la voie à une myriade de talents qui exprimeront leur singularité à travers différents courants ayant marqué l’histoire de l’art moderne ivoirien, et dont l’exposition du MuCat propose un bel aperçu en convoquant les dissidents, initiateurs du mouvement Vohou-Vohou (Mathieu Gensin, N’Guessan Kra, Mathilde Moreau…) et du mouvement Daro Daro initié par Yacouba Touré, les merveilleux Naïfs (Augustin Kassi, Idrissa Diarra, Camille Kouakou, Losseni…), et les créations imprégnées de culture street-art et nouchi d’une nouvelle génération ultra-urbaine et connectée (Abou dia, Yeanzi, Anapa, Issa Kouyaté..).
Si le design représenté par des artistes comme César Dogbo, Vincent Niamien ou Jean Servais Somian, dont les créations en bois de cocotier ont conquis un large public en Côte d’Ivoire et à l’international n’est pas en reste, l’exposition permet aussi de prendre la mesure de la belle vitalité de la scène photographique locale, et de s’imprégner du regard que ses acteurs portent sur le monde et la société dans laquelle ils vivent, des « Vieux Pères » Alexandre Dagri et Paul Kodjo aux reporters engagés comme Ananias Leki Dago, Doris Haron Casco, Barnus Gbékidé, Hien Macline et Joana Choumali, lauréate fin 2019 du 8ème prix Pictet pour sa série de photographies de Grand-Bassam.
Pour le professeur Konaté, cette exposition rétrospective a avant tout une valeur patrimoniale. Outre la richesse des arts plastiques ivoiriens, elle vise à montrer aux jeunes générations que « toutes les voix comptent », et qu’il faut « apprendre à les connaître » et à « se transcender » dans l’acte créatif, en s’imprégnant du legs des prédécesseurs et de la « force des aînés ».
« 1957-2021, 64 ans d’arts visuels en Côte d’Ivoire »
Musée des Cultures Contemporaines Adama Toungara. Abobo
Jusqu’au 30 mai 2021
Tél : 07 67 67 04 67
Par E. Vermeil
Publié en mai 2021