Le village Ki-Yi M’bock change de direction
Le 1er octobre, à l’occasion de la rentrée culturelle du village Ki-Yi, a eu lieu la passation officielle entre la dramaturge, peintre et écrivaine Werewere Liking et la danseuse et chorégraphe franco-haïtienne Jenny Mezile, à la tête de l’école d’art les Pieds dans la mare d’Adjamé, qui vise à développer la pratique artistique dans l’espace public, notamment au sein des quartiers populaires.
En remettant son bâton de «grande prêtresse éveilleuse d’étoiles » à sa «fille», la «Reine Mère», qui dirige le centre artistique de la Riviera 2 depuis plus de 36 ans, entend apporter un nouveau souffle à une institution pluridécennale du paysage culturel ivoirien. De toute évidence, elle a fait le bon choix… .
À l’origine une troupe fondée en 1985 par la charismatique Camerounaise, le groupe Ki-Yi M’bock est devenu par la suite le lieu de formation d’artistes venus de toute la sous-région et a été reconnu officiellement en 2001 comme Centre panafricain de formation Ki-Yi. Y a longtemps travaillé une troupe de renommée internationale, le Ki-Yi M’bock, dont les artistes, fidèles à ce nom qui signifie « ultime savoir de l’univers», promouvaient une esthétique pluridisciplinaire en accord avec la tradition africaine. Reproduisant le fonctionnement traditionnel d’une communauté rurale africaine, ce « bois sacré dans la ville » a connu son âge d’or dans les années 1990.
À cette époque, plus d’une centaine d’artistes y vivaient en communauté selon une discipline très stricte : lever à 4 h du matin, 8 à 14 heures de travail par jour, et des tournées dans le monde entier au sein de la compagnie. Parmi les stars passées par le village, la chanteuse, danseuse et musicienne Dobet Gnahoré (Grammy Award 2009 de la meilleure prestation Urban/Alternative), Pape Gnepo, le «roi du wôyô jazz», la danseuse et chorégraphe Bacome Niamba, ou encore Didi B et Black du groupe de Hip Hop Kiff No Beat.
À l’instar de nombreuses structures locales, le village Ki-Yi a malheureusement payé un lourd tribut aux crises successives ayant frappé le pays, et s’est progressivement étiolé, en marge des dîners-spectacles et représentations ponctuelles organisés pour continuer de faire vivre les lieux.
Peu à peu, ses murs se sont abîmés, la compagnie a cessé de travailler et de tourner, la programmation s’est faite moins riche, et les artistes ont quitté les petites maisonnettes de Cocody. Une situation à laquelle la nouvelle directrice artistique du centre entend bien remédier, en commençant par refaire du domaine un lieu de vie privilégié pour les artistes. Spectacles de danse, concerts, représentations théâtrales, soirées thématiques, projections de films, rénovation des locaux…
Depuis sa prise de fonctions, Jenny Mezile démontre chaque jour par l’énergie contagieuse qu’elle déploie en ligne et en live, que son illustre aînée ne s’est pas trompée en misant sur elle. Sous sa houlette, et avec la tutelle bienveillante de la Reine Mère qui reste force d’expertise en coulisses, le village Ki-Yi revient de loin pour aller plus loin.
En à peine quelques mois, Jenny Mezile a ainsi déjà entrepris de reconstituer la troupe Ki-Yi M’Bock, mis en place des cours d’arts martiaux, de fitness et de coaching, et accueilli en concert la star du Tchad De Gospa, mais aussi des cases shows de rap, des soirées maquis électronique et techno, festi balafons, marchés du village et ventes aux enchères au profit de la réhabilitation des lieux, également disponibles à la location pour tous types d’activités sociales et africaines. «Je suis ravie d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui a envie, qui a la passion, et assez d’amour et de générosité pour se mettre au service des autres», affirmait Werewere Liking début octobre.
Assurément, elle a toujours la capacité de lire dans la tête et le cœur de ses émules… .
Par E. Vermeil
Publié en décembre 2021