Les Gauz’eries : 10 ans déjà !
En 2014, quand je quittais la rédaction de Yéyé Magazine, un webzine révolutionnaire de Babi qui faisait « clic clic boom ! », je savais au fond de moi qu’un autre destin me tendait les bras. J’avais déjà écrit Debout-Payé dont la publication était prévue pour août 2014 et je suis parti rejoindre mes enfants en vacances dans le sud de la France.
J’ai pris l’avion avec une légère fièvre qui n’était pas seulement due à l’excitation de cette grande première pour moi. Je soupçonnais les redoutables moustiques de Zone 4¹ de m’avoir fait un petit cadeau de protozoaires pour me dire convenablement au revoir.
La fièvre ne m’a pas lâché les jours qui ont suivi, alors j’ai pris rendez-vous chez le docteur de la petite ville où j’étais. Le bonhomme avait été médecin militaire dans un pays d’Afrique. Il n’a pas cessé de me bourrer d’anecdotes qu’il croyait passionnantes, alors que je les trouvais banales, ennuyeuses et parfois racistes. Le sud de la France est hélas rempli d’olibrius de ce calibre.
J’attendais simplement qu’il me donne une ordonnance contre le palu, il m’en a donné une contre la grippe qu’il était sûr de m’avoir diagnostiquée. Évidemment, je ne me suis pas mieux porté. Une semaine et plusieurs 40° de fièvre plus tard, je me suis retrouvé évacué à Toulon, dans un hôpital… militaire !
À l’admission, quand on a vu mon passeport ivoirien, ça a été la débandade générale. Tout le monde a commencé à s’asperger d’alcool, certains ont même pris illico des douches. Non, ne te dépêche pas de crier au racisme encore, faut pas abuser ! Le responsable, c’était Ebola.
La pandémie faisait des ravages dans l’est de la Guinée et du Libéria, donc mécaniquement vers l’ouest de la Côte d’Ivoire. Fièvre persistante en était le symptôme le plus clair avant liquéfaction des organes internes. Moi d’habitude si provocateur, je n’avais encore jamais créé un mouvement de panique aussi phénoménal. Le petit brin de lucidité que j’avais encore m’a fait sourire de fierté.
Quand le personnel est revenu à mon chevet, tout le monde était en combinaison intégrale. C’était aussi lunaire qu’un Neil Armstrong sur la Mer de la tranquillité². Je peux certifier que dans cet établissement, aucun humain avant moi n’avait subi une batterie d’examens médicaux aussi nombreux et inédits. On m’a même recherché des maladies médiévales comme la gale et la peste. Et moi qui n’arrêtais de leur dire « j’ai le palu, j’ai palu ! ». Si on m’avait écouté, je n’aurais pas plongé dans un semi-coma…
Je me suis réveillé quelques jours plus tard (3 jours m’a-t-on dit) en étant convaincu que j’étais mort.
Regarde le tableau : une immense chambre aseptique et blanche avec une énorme baie vitrée qui donnait sur la rade de Toulon ; le gigantesque porte-avions le Charles de Gaulle avec au-dessus de lui un ballet de Rafales qui faisaient hurler réacteurs en crachant des volutes tricolores ; une télévision plaquée au mur qui retransmettait exactement ce que je voyais par la fenêtre, entrecoupé de gros plan des visages patibulaires de Blaise Compaoré, Ali Bongo et Denis Sassou Nguesso !
Tu vois ? Je devais forcément être dans un purgatoire en attend la sentence pour aller brûler en enfer.
Une infirmière est entrée (tout en blanc évidemment), elle était canon, je me suis étonné qu’elle n’ait pas d’ailes dans le dos. Son magnifique sourire ne m’a pas véritablement rassuré non plus. Elle a éclaté de rire quand je lui ai demandé à parler directement à Belzébuth. Même mort, il faut se prendre au sérieux et ne parler qu’aux boss !
Voilà le fin mot de l’histoire. C’était un 14 juillet, fête nationale de France. Jacques Chirac avait invité ses préfets d’Afrique sur le fleuron de sa marine.
Ne laisse jamais un médecin t’injecter en intraveineuse du Quinimax, cet antipaludéen des années 70 qui file des hallucinations, retiens ça ! La beauté d’un rire peut te rappeler que tu es toujours en vie, retiens ça aussi.
Debout-Payé est sorti un mois plus tard. Et il a consacré le début de ma carrière littéraire. « Les Portes » est mon cinquième livre. Il est sorti le 4 mai et est disponible chez tous ceux qui savent mon talent de conteur, c’est-à-dire toutes les bonnes librairies.
2014-2024, 10 ans de gauz’eries !
¹Zone 4 : quartier situé près de la Zone 3 dans un village d’Abidjan où personne ne sait où se trouvent les Zone 2 et Zone 1 !
² La Mer de la tranquillité : quartier de la lune où Neil Armstrong a posé les pieds de l’humanité pour la première fois.
Par Gauz’
Publié en juin 2024