“Vraiment, ta maman, je ne la comprends pas… se lamentait toujours mon père, faussement affligé. Au lieu de cultiver des roses, pourquoi ne plante-t-elle pas de la salade ou des épinards, pour me faire une bonne sauce feuille ?
Il faut dire que les passions horticoles de Super-Mamie venaient contrarier les rêves de mon père, qui se voyait en Gentleman Farmer, élevant ses poules au grand air. Sauf que lesdites poules n’étaient pas au courant que les 200 pieds de rosiers de la vieille n’étaient en aucun cas destinés à être leur casse-croûte. À chaque saccage de ses précieux ixoras ou anthuriums, mon père était tenu personnellement pour responsable, et la sentence du gallinacé impudent était sans appel : la mort !
Un jour de mon enfance, dans le Ghana des années 80, Super-Mamie m’a ramené une tulipe violette d’un concert. Pour une raison que je ne m’explique pas, ils avaient lancé des fleurs au public. J’étais fascinée par cette fleur inconnue, robuste et caoutchouteuse, si belle qu’elle en paraissait fausse. Il n’en fallait pas plus pour que j’hérite de sa passion pour les fleurs. J’ai délaissé les jardins d’Aburi au Ghana, pour découvrir les orchidées du Jardin botanique de Singapour, la plantation Bonafos à Bingerville ou le Keukenhof près d’Amsterdam.
Tout comme mon père, la moitié de la maisonnée ne comprenait pas l’intérêt de ces nombreuses plantes, soigneusement sélectionnées aux quatre coins du globe. « Tchiiiip ?! Un bouquet, pour quoi faire ? Ça se mange ? Donne-moi plutôt l’argent qui aurait servi à l’acheter ! » maugréent certains.
Et pourtant, l’effet des fleurs sur les émotions et sur le comportement humain n’est plus à démontrer. Une étude de Bringslimark, Patil et Hartig (2008) auprès de 385 employés de bureau en Norvège a permis d’établir un lien entre la présence de plantes dans les bureaux et la productivité. Il a été démontré que l’introduction de plantes dans les espaces de travail a un effet positif sur le temps d’arrêt maladie et l’absentéisme. Si la présence des plantes n’avait aucun impact sur le niveau de stress mesuré par les chercheurs, elle avait des effets bénéfiques sur la santé auto-déclarée (fatigue, toux, rougeurs, maux de gorge). De plus, le nombre de plantes présentes était négativement corrélé au nombre de congés maladie : « plus de plantes» était donc lié à moins d’arrêts maladie et « moins de plantes » à plus d’arrêts constatés.
Vous savez dans la vie, tout le monde a ses problèmes hein ! Parfois votre problème, c’est que votre enfant n’a pas dormi de la nuit… Comme si quelqu’un l’avait envoyé, il a traversé la maison pour venir vomir sur vous, dans votre lit. Bien chaud, bien gluant, la veille d’un Conseil d’administration. Parfois le problème, c’est qu’un être cher vient d’être diagnostiqué d’une maladie incurable. Parfois, c’est juste un transit paresseux ou un appel de la banque. Parfois, votre problème est tellement grave que vous ne pouvez même pas vous l’avouer. Il y a la peur, il y a la honte, il y a la colère, il y a le regret… tout est mélangé !
Malgré tout, vous vous levez, vous allez au travail, le cœur en bandoulière… Et puis là-bas, il y a quelqu’un qui a décidé qu’aujourd’hui, today be today ! C’est sur vous qu’il va déverser tous SES problèmes ! Vous connaissez bien cette qualité de personne. Si elle est en position d’autorité, chacun se renseigne d’abord pour savoir : « Quelle est son humeur aujourd’hui ? ». Si elle est dans un open space, son aura et ses nuages noirs contaminent tout autour d’elle. Chacun sait, à la façon dont elle est habillée, à son pas saccadé dans le couloir, à la manière dont ses mâchoires sont serrées, à la manière dont elle dépose ses clés sur le bureau, si la journée sera ensoleillée ou ombragée, si son génie-Djinn s’est mal réveillé le matin.
Ne soyons pas cette personne, si obsédée par sa propre incompétence, qu’elle cherche par tous les moyens à exposer les erreurs d’autrui. Qui ne se pardonne tellement pas ses choix du passé, qu’elle ne pardonne à personne le moindre manquement. Ne soyons pas cette personne, enferrée par ses mécanismes de défense, si terrifiée d’exposer ses sentiments, qu’elle repousse par tous les moyens le moindre geste d’humanité, de générosité ou de compassion… Malheureusement, la manière dont nous traitons les autres, trahit souvent le peu d’amour ET d’estime que nous nous portons.
Soyons de ces êtres de lumière, à la présence si fugace, si bouleversante, si enivrante que leur souvenir persiste, émeut, soulage, comme le parfum d’une fleur délicate, bien après leur départ. Pour moi, les mois de mai et de juin seront à jamais associés au souvenir d’une amie tendre et belle, qui aimait tant les pivoines et l’humanité. Aujourd’hui, je dis merci à l’Univers pour notre Pivoine, pour les tillandsias qui s’épanouissent dans les jardins de mes amies, pour les tulipes, pour tout l’amour et les bouquets qui éclosent à Abidjan chez tant d’enseignes talentueuses…
PS : Je dis ooooh, deux jours-là à Abidjan, si on n’a pas emballé ta fleur dans boîte, ronde, cœur, carré, carton, velours, plexiglas, vieux carton de chaussures, c’est qu’on ne t’a pas respecté deeeeeeh…
Zebra Zoum
- Zebra Zoum